UN CHANT DE MAL DʼHORREUR

Quand ma raison vacille


Y a tant de riens sur le pas de ma porte
Que je ne sais où me portent mes pas
Est-ce ma vie que le diable emporte
Ou plutôt tout ce quʼelle ne fut pas.

Est-ce un rire quʼon retient ?
Est-ce un cri, est-ce la joie ?
Mais moi, je ne sais pas bien
Pourquoi jʼmʼai tiré vers le bas.

Jʼai pas voulu tout ce qui mʼarrive
Tout est si flou, plein de mystères
Cʼest ça la vie quand on dérive
Je suis la roue sans son ornière
Un pauvre fou sans ses repères
Un bout de carotte et une endive
En perdition dans la soupière

Du coton dans la tête
Les flons-flons de la fête
Des vapeurs dʼéther
Des saveurs amères

Quand ma raison vacille
Y a plus un arbre où mʼadosser
Quelques frêles brindilles
Rien où je peux me reposer
Faut que je mʼagrippe à la quille
De mon bateau tout chaviré

Jʼai le cœur qui étouffe
Quand je parle tout bas
Les poumons qui sʼessoufflent
Plus de jambes, ni de bras

Je titube, je mʼaccroche
À cet air qui mʼentête
Un sonneur sur sa cloche
Et qui frappe à tue-tête.

On nʼy voit que du noir
Dans ma mémoire y a plus rien
Une araignée, un cafard
Que des trous qui sont pleins

Arrêtez la musique
Arrêtez les soldats
Arrêtez toute la clique
De ceux qui marchent au pas
Cessez ce monde enfin où je nʼexiste pas.

Dans ma mémoire, une sarabande
Des cris dʼenfants, des éléphants,
Un sac de billes et des amandes,
Un ciel tout rouge dans le couchant

Jʼai tant voulu que ma vie soit belle
Jʼai cru pouvoir en vivre autant
Mais, je nʼai pas vu cette hirondelle
Celle qui apporte le printemps

Maintenant que ma tête éclate
En mille morceaux, comme un chaos
Jʼmʼai mis tout seul échec et mat
Je suis ce pion sur le carreau
Jʼai le cerveau en cataracte
Bouffi de larmes et de lambeaux

Jʼai jamais su jouer aux dames
Y a rien qui est droit autour de moi
Mais moi cʼest quoi ? Ce mal à lʼâme ?
La vie qui me tape sur les doigts ?

Jʼai pris de la poudre dʼescampette
Des clefs qui ouvrent des horizons
Jamais voulu piquer une tête
Dans les quatre murs de ma prison

Y a un écho dans mes oreilles
Un sifflement, des chants dʼoiseaux
Un gros bourdon et des abeilles
Des tambourins, un hélico

Avec du vide, ils me remplissent
Des moulinets avec leurs bras
Ils sʼimaginent quʼils agissent
Du vent qui chuinte, des sassafras

Y a des chemins qui vont nulle part
Coupant des champs de coquelicots
Y a des matins comme ça je pars
Abandonnant ma vieille peau

Jʼai rʼpris le temps dʼavoir vingt ans
Dʼaller cueillir des asphodèles
Jʼsais pas pourquoi mais maintenant
Je sens que jʼmʼai coupé les ailes

Jʼai plus dʼavenir dans mes cartables
Au quai de la vie on fait la queue
Les bancs de lʼécole, les châteaux de sable
Tous mes souvenirs, jʼai besoin dʼeux

Et sur la terre, je pose un pied
Jamais certain des lendemains
Sur les lignes droites de mon papier
Jʼessaie dʼécrire des deux mains

Planqué lʼamour dans mes placards
Rangé poupées, caché oursons
Mis mandoline au rencard
Et mes cahiers de vieilles chansons

La mélopée qui me lancine
Je la fredonne en balançant
Toutes ces visions qui mʼhallucinent
Et qui sʼenvolent comme lʼencens

Jʼai mes pensées qui se font la belle
Les choses autour partent en fumée
Cʼest comme un gouffre qui mʼappelle
Qui mʼhypnotise pour mʼexhumer

Je nʼréponds plus au téléphone
Le répondeur est décroché
Vous trouverez plus jamais personne
Aux grands absents jʼmʼai abonné

Jʼsais pas si cʼest moi
Qui voit tout à lʼenvers
Je nʼai plus de toit
Les pieds en lʼair

Jʼai les poux de corps qui grouillent
Je nʼarrête pas de me gratter
Ça me démange sur les...
Enfin là où vous savez

Cʼest bien ce monde que jʼabandonne
De toutes façons il mʼa jeté
Voilà pourquoi je déraisonne
Et quʼon mʼappelle lʼagité

On prend la vie comme elle arrive
Avec ses rires et ses malheurs
Ses bouts de route qui dérivent
Et ses virages à cent à lʼheure

Cʼest les crécelles qui mʼensorcellent
Cent mille archets à lʼunisson
Le chant plaintif dʼun violoncelle
Dans ma cervelle à lʼabandon

Cʼest la neige en septembre
Couleur beige, couleur ambre,
Cʼest la fin dʼun été
Quand les blés sont coupés

Et puis, il y a les forêts sauvages
Couvertes de lianes à foison
Que les moussons ravagent
En distillant leur poison

Le silence du désert
Et les landes désolées
Jʼy aspire, je les espère
Dans mon mausolée isolé

Je voudrais croire que ma souffrance
Et le désir dʼun monde meilleur
Un jour, mʼapportent en délivrance
La découverte dʼun autre ailleurs
Où les litanies, les rengaines
Ne pourront plus mʼobséder
Comme cette boîte à musique ancienne
Dont le refrain mʼa possédé.

Plus une pierre ne tient debout
Que des fissures et du salpêtre
Des moisissures, des cailloux
Un peu de poussière peut-être

Un champ de ruines, de la rocaille
Des bouts de chiffons tout déchirés
Dans mon royaume de passe-muraille
Toutes les cloisons sont délabrées

À lʼorée du pays que je mʼinvente
Des bataillons en transhumance
Au long des monts quʼils arpentent
Attirent au loin mon rêve-errance

Je reste muet, je reste coi
Car je voudrais que lʼon me dise
Enfin pour qui et puis pourquoi
Je mʼai fait la valise