SAGA DE LʼOMELETTE AU JAMBON

Avant-Propos aux Saga de lʼomelette au jambon

Ce texte extrêmement puissant est livré à la sagacité des internautes, mais à lʼorigine, il constitue le scénario idéal pour lʼœuvre cinémamtographique à venir de Virginie G. dont lʼincroyable histoire nʼa pas inspiré ce chef-dʼœuvre.


Synopsis


Cʼest lʼhistoire dʼune omelette au jambon un peu neurasthénique qui mène une vie des plus insipides, une vie de fonctionnaire que rien ne vient ni agrémenter, ni perturber, si ce nʼest quʼelle est atteinte de sérieuses diarrhées chroniques. Sa vie, pour ainsi dire, se cristallise autour de ces moments frénétiques de décomposition avancée. Mais un jour, lors dʼune crise plus sévère quʼà lʼordinaire sa réputation auprès de ses congénères et collègues de travail va être laminée (elle sʼétait endormie la bouche ouverte un jour de grand vent, ce qui lʼavait ballonnée plus que de raison et le tout est parti en vrille au cours dʼune assemblée générale du personnel qui sʼapprêtait encore une fois à voter une prime aux dirigeants), ce qui lʼoblige à démissionner toute honte bue.

Sa forme générale, cʼest-à-dire sa forme physique presque parfaitement circulaire, qui la destinait à une carrière de rond de cuir, ne lui sert plus à grand chose, car on ne démissionne pas impunément de la fonction publique. La vie bien rangée quʼelle menait jusque-là se délite peu à peu, elle ne parvient pas à retrouver un travail, elle ne se rase plus, se lave un jour sur deux et tout à lʼavenant. Très vite ses moyens de subsistance sʼépuisent, car ayant quitté son emploi dʼelle-même, elle nʼa pas droit aux indemnités de chômage, et elle va finir par avoir recours à des expédients. Un jour dʼerrance dans un bouge dʼune banlieue sordide, elle sʼacoquine avec des trafiquants de cachou faisandé. Ainsi poussée par la nécessité plutôt que par lʼappât du gain, sa vie bascule dans lʼillégalité.

Devenue passeur de cachou, lʼomelette au jambon a maintenant un quotidien légèrement plus mouvementé, bien quʼelle continue à se débattre avec la misère qui ne veut toujours pas dire son dernier mot. Le juteux trafic attise néanmoins les convoitises ainsi que les coups fourrés, et un beau jour la bande de malfrats est décimée par une descente de police à laquelle lʼomelette au jambon a miraculeusement échappé. En effet, ce jour-là, elle nʼavait pu se rendre au rendez-vous fixé parce que le quartier où elle logeait avait été bouclé et mis en quarantaine par mesure de sécurité à la suite dʼune rumeur sur une prétendue épidémie de tarentules venimeuses.

Son histoire prend alors un tour dramatique. Elle est recherchée par la police, laquelle ne se doute pas que lʼomelette au jambon est déjà retenue dans ses filets et de surcroît soupçonnée de trahison par ses anciens complices qui se jurent de lui réserver un sort. En réalité, cʼest une araignée au plafond du hangar désaffecté dans lequel les délinquants se réunissaient pour préparer leurs coups qui avait surpris la conversation et avait craché le morceau à la force publique en échange de quelques sacs de croûtons de pain que dʼailleurs personne nʼaurait eu la décence de réclamer.

Lʼomelette au jambon sentant sa vie en danger cherche à fuir la capitale au plus vite. Elle se souvient quʼun jour elle avait était emballée dans un papier journal où figurait lʼextrait dʼun roman dʼun auteur célèbre. Elle lʼavait lu jusquʼau bout nʼayant rien dʼautre à faire de plus urgent ce jour-là quʼattendre patiemment que quelquʼun la déballât mais en vain. Elle sʼenfuira par les égouts, cʼest décidé. Elle se laisse tomber dans un caniveau, puis emporter dans les boyaux peu ragoûtants de la ville qui suinte à mort sous le pavé. Son périple sera long, mais elle fait des rencontres quʼelle nʼaurait jamais imaginées, notamment avec les rats particulièrement velus et énormes, car la nourriture ne manque pas pour ces nettoyeurs intestinaux infatigables. Elle apprend avec eux comment survivre dans un environnement hostile, cʼest-à-dire quʼelle apprend surtout les ruses pour déjouer leurs attaques de leurs dents acérées, mais elle découvre aussi leur façon de vivre en communauté. Leur organisation lui évoque sa vie dʼavant lorsquʼelle nʼétait que simple fonctionnaire à huiler les rouages de la société. Que de chemin a-t-elle parcouru depuis !

À la longue, elle finit par rejoindre la dernière sortie au sud de la capitale. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle fuit, des semaines, des mois, des années comment le savoir ? Dʼailleurs le temps nʼa plus vraiment dʼimportance tant il fait toujours nuit dans ce dédale qui semble infini. Dans le monde extérieur, il est 5 h du matin lorsquʼelle remet le nez dehors, le contraste ne lʼaveuglera pas au moins. Elle se retrouve à Rungis et devant tant de camions parqués et prêts à vrombrir, elle croit un instant que le pays est en guerre. Oh, pas longtemps parce quʼelle est soudainement aplatie par la grosse roue dʼun 30 tonnes qui sʼen retourne sur La Rochelle pour charger le prochain arrivage de poissons. Avant de sʼévanouir, elle a juste le temps de voir quʼune moutarde avait subi le même sort à deux roues de camion de là. Agglutinée à la roue du pachydermique véhicule, elle sera ballotée dans une ronde dantesque jusquʼà bon port. Elle sʼaffalera semi-comateuse comme une crêpe expurgée de toute béchamel pour ne se réveiller que de nombreuses heures plus tard intriguée par le bruit et les cris qui résonnent comme depuis le fond dʼune caverne.

Pendant quelque temps, elle vivra cachée dans la halle près des docks à épier le manège quotidien des mariniers, dissimulée derrière des cageots où lʼon entrepose les huîtres impropres à la consommation. Ne sortant que la nuit, drapée dans un bout de sac en plastic noir qui lui sert de houppelande, elle sillonne les vieilles rues de La Rochelle, se faufilant sous les arcades dépeuplées une lanterne de fortune à la main. La ville prend les allures dʼune vieille cité moyenâgeuse protégée des hordes barbares par la barrière infranchissable de la mer se perdant à lʼhorizon au-delà des tours qui protègent lʼentrée du vieux port. Cʼest en crevant les sacs poubelles déposés chaque jour le long des ruelles piétonnières quʼelle trouve sa maigre pitance quotidienne, mais pas seulement, car elle récupère aussi des babioles futiles et autres objets désuets dont les citadins, dans leur hâte de renouveau, se débarrassent sans y prêter attention, comme ces boîtes dʼallumettes vides dont elle se sert pour en faire des rangements, une vieille manie quʼelle a dû hériter de ses longues années de fonctionnariat, car elle affectionne particulièrement les vieux journaux quʼelle prend la peine de classer non sans les avoir lus auparavant en journée quand le va et vient des dockers lʼempêchait de trouver le sommeil. Elle y apprend maintes choses sur la ville, son histoire, et sa vie quotidienne. Elle y déniche des anecdotes sur les occupations secrètes de certains habitants et de cette multitude de confréries qui se réunissent à la nuit tombée pour réinventer un monde qui depuis la nuit des temps reste imperturbablement en dehors de la société. Elle comprend que les hommes ont toujours eu ce besoin insatiable de projeter dans lʼavenir des liens nouveaux se voulant immarcessibles qui les uniraient à jamais en cherchant à défaire ceux qui les entravent au présent. En réalité, cʼest cet incontournable besoin dʼabsolu qui prend ici encore des chemins détournés là où la religion ayant pignon sur rue a échoué. Toute société a sa part maudite, comme chacun sait.

Cʼest alors que lʼidée finit par germer dans sa petite tête faite dʼun mélange savant mais légèrement fouetté de blancs et de jaunes dʼœuf, pourquoi ne pas se lancer dans le spectacle grand public en attirant les foules toujours prêtes à exprimer leur compassion du moment quʼelle est dûment autorisée. Cʼest à nʼen pas douter là encore un des fondements de lʼhumanité, ce besoin atavique dʼamour que tout un chacun est singulièrement disposé à reconnaître dans lʼautre, y compris lʼétrange étranger, comme pour légitimer le sien propre. Lʼomelette au jambon veut bien être aimée certes, mais pas jusquʼà être dégustée tout de même. La voilà donc décidée à sortir de son ascèse solitaire et renouer avec lʼaltérité. Les années qui ont passé, pense-t-elle, ont probablement effacé toute trace de son souvenir dans les mémoires de tous ceux quʼelle a côtoyés autrefois. Cela fait sans doute belle lurette quʼil nʼy a plus de danger. Avec divers objets de récupération, elle envisage de se fabriquer un petit chapiteau pour commencer le dressage des huîtres létales dont personne de toute façon ne voudrait. Ses efforts hélas restent stériles, et elle en vient à comprendre pourquoi on dit souvent de quelquʼun dʼune sottise consternante quʼil a le QI dʼune huître. Elle ne parvient même pas à leur faire lâcher une perle, cʼest vraisemblablement pourquoi il nʼest venu à lʼidée de quiconque jusquʼà ce jour dʼen faire des savantes. Cʼest ainsi quʼelle découvre que les dictons populaires ont parfois une assise éprouvée dans la réalité.

Ses crises de neurasthénie et de diarrhées confondues qui avaient depuis très longtemps disparu reprennent du service sans crier gare. Sur le point dʼabandonner toute velléité de sʼen sortir par une plus ou moins grande porte, un beau soir à lʼombre dʼune poubelle, elle surprend la conversation de deux marins en goguette qui papotent dans un langage pour le moins codé dont seuls quelques rares initiés auraient pu tirer information utile. Néanmoins, elle en saisit de minuscules bribes, juste de quoi lui ouvrir de nouvelles perspectives ou à la rigueur de vagues bases pour élaborer un plan salutaire à une renaissance inespérée. Il y est question dʼun bateau, le Conchylicole, appareillant très bientôt pour les Amériques lointaines transportant une cargaison de haricots rwandais, longs et torsadés, à lʼintention de vieux Boliviens en rut que leur gouvernement nʼarrive pas à calmer malgré les hordes de prostituées larguées par avion dans la jungle sauvage.

Les préparatifs du départ ne sont pas bien longs, car cʼest bien simple, elle ne peut rien emporter avec elle qui lʼhandicaperait. La nuit suivante à peine tombée, elle se met en route en direction du port marchand de La Pallice. Arrivée là un peu avant lʼaube, elle ne tarde pas à repérer le Conchylicole qui par bonheur a toujours sa passerelle arrimée sur le quai. Elle se glisse furtivement dans une écoutille et erre dans les coursives à la recherche dʼun passage vers la cale salvatrice pour sʼy terrer, histoire de faire le mort ou de juguler ce sentiment quʼun observateur omniscient connaissant ses intentions nʼavait cessé de garder un œil inquisiteur sur elle. La chaleur et le ronronnement permanent des machines ajoutés au doux clapotis qui berce le navire la plongent dans un sommeil récupérateur après tant dʼémotions. Ce nʼest pas tant la peur qui lʼavait bouleversée, elle en avait vu bien dʼautres, que lʼidée que son rêve allait devenir inévitablement une réalité. Elle sombre dans les bras de Morphée traversée par les images de fesses rebondis de matelots gigotant sous la lune et de petits bras musclés halant de gros cordages tressés très serré.

Le tangage la réveille après un temps indéterminé. Il lui semble que le navire sombre par moments dans lʼabîme faisant dérober le sol sous ses pieds, puis se met a grimper une pente aussi rude quʼun artichaut têtu comme un Breton en poussant ses moteurs à la limite de la rupture. Pas de doute, le bateau avait quitté le port depuis un bon moment déjà et voilà notre omelette au jambon en haute mer pour la première fois de sa vie. Elle a peine à mettre un nom sur le mal de mer dont elle souffre à force de glisser sur son ventre baveux avachi sur un plancher incertain mais désespérément lisse et glissant comme une saucisse de Strasbourg voulant sʼévader dʼun sandwich pour suivre les quelques frites qui se sont déjà fait la malle aidées par la grasse mayonnaise. Le frottis du métal sur sa panse lui donne de pénibles hauts-le-cœur. Toujours aussi rusée, lʼomelette au jambon trouve la parade en sʼarc-boutant de manière à utiliser son abdomen comme une espèce de ventouse que nʼaurait pas renié le poulpe nonchalant ayant besoin dʼavoir au moins deux bras libres pour continuer son tricot aux innombrables manches.

La cale était sombre et peu visitée par les matelots, dʼailleurs lʼencombrement des caisses leur laissait peu de champ libre pour sʼy déplacer, eux qui aimaient les grands espaces et avaient repoussé de leur vie le confinement confortable des citadins entassés. De toute façon, le grincement de lʼescalier métallique donnait lʼalerte très tôt annonçant la visite inopinée et cela laissait le temps de trouver une cachette facile dans ce fatras qui malgré tout recelait un agencement semi-intelligent et insoupçonné. Dès que le cliquetis des rivets résonnait sur les parois se mêlant à celui des machines qui vrillaient les oreilles, tout le petit monde interlope qui peuplait les lourdes entrailles du rafiot filait qui à droite, qui à gauche, qui sous une bâche, qui sur un cageot à moitié rongé. Cʼest en lʼoccurrence lors de la première visite dʼun des marins apparemment légèrement éméché que lʼomelette au jambon ébahie découvre quʼelle nʼest pas le seul passager clandestin de lʼhistoire. Loin de là.

Comment avait-elle pu échapper à la vigilance de tant de rats lorsquʼelle sʼétait faufilée jusquʼici la première fois se demanda-t-elle. Elle comprit assez vite quʼil y avait là deux clans qui se livraient des guerres picrocholines pour des questions de répartition de territoire. Par chance, lʼomelette au jambon nʼétant ni casher, ni hallale, la rage des uns et des autres lui avait été épargnée. Cela ne dura pas, car il est toujours de bon aloi dʼaccuser les étrangers pour justifier la haine congénitale qui habite bien souvent les êtres vivants. Mais lʼexpérience acquise par lʼomelette au jambon au cours de son périple dans les égouts parisiens lui donne un avantage certain et elle finit par circonvenir les rongeurs jusquʼà leur faire admettre que tout le monde gagnerait à une paix bien ordonnée. Et cʼest ainsi quʼelle prendra la tête dʼune réconciliation qui donnera lieu à de furieuses agapes. Après avoir été haïe, la voilà portée au pinacle tant il est vrai que lʼirrationnel laisse toujours la part belle à lʼillogique inconstance, encore une caractéristique indéniable de tout ce qui se meut sur terre.

En réalité, les luttes incessantes entre les mammifères aux dents aussi pointues que leurs queues sont effilées avait en quelque sorte préservé les marchandises. Tandis quʼon se battait impitoyablement on ne pensait pas toujours à manger. La petite poignée de caisses en bois vint très vite à sʼépuiser et plus les rats engraissaient plus ils développaient un appétit que plus rien ne semblait pouvoir satisfaire. Comme il nʼétait pas question, pour des raisons de physique et de chimie, dʼentamer les caissons de cuivre et dʼacier, la tension se remit à monter dans la cale et la chaleur nʼaidait pas à calmer les ardeurs. Lʼomelette au jambon, forte de sa popularité bien gagnée, organise alors une réunion de crise et propose lʼimpensable aux rongeurs. « Puisque maintenant nous sommes forts et nombreux, leur dit-elle, fomentons une mutinerie et boutons hors le navire les trublions qui viennent nous narguer en agitant ces clefs qui les autorisent à se servir dans nos vivres. » Sa suggestion est accueillie par des couinements de joie qui fusent de toutes parts. Lʼomelette au jambon nʼest cependant pas dupe, parce que sʼil est vrai que les copulations frénétiques, fruits de lʼhédonisme du ventre plein, avaient engendré des flopées de nouveaux arrivants, les adultes quant à eux gras comme des bonbonnes passaient le plus clair de leur temps dans de faramineuses siestes qui assistaient leurs panses repues dans le travail fastidieux de digestion. Au moins, les guerres avaient ça pour elles, elles entretenaient la forme physique des belligérants, et on allait avoir besoin autant de hargne que dʼagilité pour mener à bien le coup de force. Lʼomelette au jambon savait parfaitement que ce nʼétait pas gagné et que beaucoup dʼentre eux ne reverraient jamais la terre ferme.

Pendant deux jours, on étudie les plans qui avaient le plus de chances de marcher, il y avait toujours quelque chose qui risquait dʼéchouer. Lʼidée de génie vint de manière inattendue dʼun sourisseau tout frais émoulu qui ayant absorbé par mégarde une graine indigeste lâcha un vent nauséabond qui enfuma la cale. Lʼaffaire était entendue, on allait asphyxier la vigie dont le seul rôle nʼavait été jusquʼà présent que de garder lʼœil ouvert toute la nuit dans la petite cabine érigée à la proue du navire. Au jour dit, rien ne marcha comme prévu malgré les ventres chargés à mort de munitions, les alizés sʼétant levés, des bourrasques balayaient rageusement le pont et le gazage de la vigie était définitivement compromis. Lʼaffaire qui aurait dû être rondement menée tambour pétaradant tourna brutalement à la catastrophe quand le vieux rafiot vint se fracasser sur une lame de travers. Le bateau prit soudain lʼeau de toute part et la panique gagna aussi bien lʼéquipage éjecté violemment du sommeil pour pénétrer dans un cauchemar parfaitement réel celui-là, mais aussi tous les animaux à deux ou quatre pattes, voire plus, qui sʼétaient invités avec ou sans carton pour la générale dʼun drame qui se jouait en direct. Le navire disparut sous les flots agités à la vitesse dʼun fer à repasser à sa première leçon de brasse coulée, juste le temps pour lʼomelette au jambon de sʼaccoler à une caisse en pin sec qui nʼallait avoir que de lʼeau à se mettre sous la dent. Par une fortune inouïe elle sʼétait courageusement proposée à aller en éclaireur voir si le terrain était dégagé et de ce fait était au moment du drame à deux enjambées du pont.

Lʼomelette au jambon est maintenant persuadée que ses jours sont comptés. Une triste fin en effet, mourir desséchée sur un caisson flottant au milieu de nulle part. Cʼétait compter encore une fois sans la providence qui se refusait obstinément à lʼabandonner. Le sel marin nʼavait eu de cesse de ronger de son acidité les lattes qui formaient ce petit coffre au trésor, si bien quʼelle pu pénétrer à lʼintérieur en se glissant par une des fentes qui maintenant le lézardaient de tous côtés. Il y avait là de quoi faire bombance pendant plusieurs mois soupira-t-elle dʼaise une fois calée à lʼabri des embruns. Graines de pois-chiches et tapioca à gogo. Lʼeau qui suintait le long des parois était même potable, le sel étant filtré par le bois aux nervures étroites. La tempête avait fini par se calmer en moins dʼune semaine. Mais quelques jours après lʼaccalmie, lʼomelette au jambon est sortie de son sommeil par une secousse brutale, et qui se répète régulièrement comme si quelquʼun essayait de briser la boîte en la jetant contre un mur. Jetant un œil à travers une fente, lʼomelette au jambon constata autant étonnée que soulagée que les vagues projettaient à leur rythme son embarcation contre les rochers dʼune île baignée par une lumière magnifique et douceureuse.

Lʼomelette au jambon aurait-elle trouvé le paradis sur terre ? Cʼest ce que fut sa première réaction. Il lui fallut presque dix ans pour faire le tour de cette terre abandonnée par les hommes. De temps en temps, y venaient quelques chercheurs cependant, des équipes de scientifiques qui se perdaient en conjectures sur la présence de sculptures figurant des suppositoires congolais. Lʼîle nʼavait semble-t-il connu aucune civilisation et a fortiori encore moins de trou du culte. Les chercheurs sʼen retournaient Gros-Jean comme devant avec leur perplexité sous le bras dʼoù ils étaient venus. Un beau jour sur une plage sʼenfonçant en pente douce sous les vagues elle aperçoit une tortue dont la plaque minéralogique lui révèle enfin quʼelle sʼétait échouée il y a maintenant une décade sur lʼune des îles Galapagos.

Le reptile se meut avec grâce malgré la maison impressionnante quʼil trimballe sur son dos si bien que lʼomelette au jambon est immédiatement charmée. Les gestes élégants de la tortue trahissent son métier, elle est ballerine à lʼopéra dʼà-côté et comme les machinistes se sont mis en grève pour réclamer des rideaux de théâtre moins miteux, elle sʼest aventurée à aller pondre un œuf sur la plage en attendant lʼembellie sociale. Lʼomelette au jambon sʼavance alors vers elle, et cʼest là quʼon découvre deux petites rainures dans le sable qui la suivent au doigt et à lʼœil, comme les rails dʼun chemin de fer lacèreraient le désert saharien. Cʼest bien sûr une révélation pour le lecteur attentif, car quoi dʼautre que de minuscules testicules pourraient laisser une telle empreinte fraîche et soyeuse et surtout si parallèle. Il ne pouvait être question de roues de bagnole, cʼétait donc des roubignoles. Lʼomelette au jambon est une omelette mâle. Elle avait acquis cette incontestable caractéristique à la naissance, dont il faut bien parler à présent. Le cuiseur dʼomelettes était serveur dans un bar à tapas et il avait malencontreusement fait tomber deux cacahouètes dans la bouillie dʼœufs quʼil sʼapprêtait à passer dans la poêle, le poids des arachides les avaient entraînés sur le fond, cʼest-à-dire en somme sur lʼabdomen de lʼomelette. Une bagarre ayant éclaté, lʼomelette au jambon se retrouva par terre avant dʼavoir pu être consommée. Elle avait pu ainsi sʼéclipser en douce profitant de la confusion qui régnait dans lʼestaminet sans élever le moindre soupçon.

Elle arrive enfin à portée de sa Dulcinée tout en cherchant par quel moyen elle pourrait lui déclarer sa flamme. La tortue hoche la tête, puis lui jette un œil torve quʼelle prend pour un regard langoureux. Lʼomelette ouvre alors la bouche pour saluer sa conquête, mais elle nʼa pas le temps dʼémettre le moindre son de sa gorge déployée, car la tortue plongeant son regard dans les entrailles béantes de lʼomelette au jambon tressaille dʼeffroi en découvrant que son soupirant nʼest en définitive quʼune bouillie dʼœufs réchauffée, en somme un avortoir ambulant, et dʼun coup de bec violent elle nʼen fait quʼune bouchée.

Moralité de lʼhistoire : cʼest toujours par ses glandes quʼun mâle est perdu.